La femme blessée
Je regardais en direction de cette voix autoritaire, qui venait de m’appeler dans cette petite salle d’attente qui sentait le moisi, le papier mouillé.
Il était trop tard pour que je m’enfuie.
Je suivis cette longue personne sèche dans un bureau impersonnel, grisâtre, hostile.
Mon ventre se nouait encore plus, qu’est ce que je faisais là?.
Un petit homme aux lunettes rondes, penché j’imagine sur le dossier de celle qui m’avait
précédée dans la salle d’attente, me montra un siège sans lever les yeux de ses feuillets.
Je m’assis et rassemblais mes idées…
Respirer, penser à demain, oublier ces jours passés, penser à tout ce que je pourrais faire après. Cinq défauts, cinq qualités… ils le demandent toujours…
Cinq défauts... pas de problème, c'était toujours facile les défauts ... mais cinq qualités? Pourtant j'en avais trouvé cinq hier ! Et même encore ce matin!
Je ne m'en souvenais pas.... j'avais les mains moites.
Et puis, il leva la tête, je vis son gros nez, et assises sur son gros nez, ses petites lunettes rondes... et puis ses lèvres se mirent à bouger...
Dans la demie conscience de mon état de stress, me rendant quasi comateuse, je perçus au loin ses paroles: "Bonjour Madame Laurent, alors un poste dans notre petit journal campagnard vous intéresse?"
Je mis quelques secondes avant de lui répondre, la reporter que j'avais été, avant mon accident n'existait plus, je me sentais handicapée.
En fait "gros nez" c'est ainsi que j'allais désormais l'appeler, ne fit pas avec moi de psychologie de bazar, ne posa pas toutes ces questions stupides.
Il se contenta de continuer "Jamais je n'aurais pensé que mon p'tit journal puisse intéresser une femme comme vous, vous avez le poste, vous pouvez commencer lundi" Je n'avais pas prononcé une parole. Ce qu'il prit pour une hésitation :"si vous le souhaitez bien entendu?"
J'étais morte de trouille, mais j'avais envie de l'embrasser, je balbutiais " merci beaucoup, à lundi"
Je rentrais chez moi, clopin-clopant, avec cette jambe raide, que je traînais comme un boulet. Je souriais à la vie même si mon sourire ressemblait à une grimace...
Quatre ans auparavant, au retour d'un reportage en Somalie, j'avais été victime d'une crise cardiaque. Pendant de longs mois, mon corps infirme m'avait confinée dans un lit. Ma pauvre mère était venue vivre avec moi et me donnait les soins qu'elle m'avait prodiguée trente cinq ans plus tôt. Mon côté gauche ne ressentait plus rien, mon visage déformé me glaçait de peur.
La volonté, ou la chance, le destin ou encore le hasard, et surtout mon excellent physio me permirent de me remettre debout, bancale, mais debout.
J'acceptai la canne quelques temps, n’ayant pas d'autre choix, mais chaque nuit je rêvais que je la jetais, et je finis par le faire...
Ré apprendre à parler fut très difficile.
Les mots se bousculaient dans mon esprit, ma gorge gargouillait mais refusait de les cracher, mes lèvres bougeaient et les sons qui en sortaient me faisaient horreur... Je haïssais, ce corps ! Ce visage ! Cette voix!
Ma mère s'efforçait de m'aider, mais son aide me montrait à quel point j'étais dépendante d'elle.
J'avais envie souvent de mourir, et parfois de m'en sortir... mais l'instinct de survie fut le plus fort, je finis par marcher, je finis par parler, je finis par redevenir indépendante et maman me quitta, inquiète de m'abandonner à mon état mais respectant mes choix.
Et aujourd'hui j'avais réussi à me faire engager, sans piston, avec ma patte folle et ma gueule d'amour de travers.
L'important d'abord pour moi, c'était de prouver que mon apparence ne changerait rien à mon travail. Mais aborder les gens me terrorisait, je lisais la pitié dans leurs yeux, je lisais "Ho! La pauvre". Il m'arrivait d'y lire la peur aussi, c'était pire d'y lire la peur! Je me sentais comme un enfant dément.
Il fallait que je dépasse toutes ces considérations pour ne penser qu'à l'article que j'écrirais. Je devais me concentrer sur mon travail, même s'il consistait à étaler les éloges de la couleur d'un vin, ou de charmer le lecteur avec les rondeurs d'une vache. Je devais me reconstruire professionnellement, pour que ma vie ait un sens. Pour que je sois comme tout le monde...
Le lundi matin, gros nez me présenta à mes collaborateurs, et comme à chaque fois, je sentis cette gène qu'ont les autres à vous regarder quand votre physique est différent. Il m'indiqua mon bureau et me demanda d'aller écrire un papier sur un vol commis dans une demeure huppée du voisinage.
J'aurais préféré enquêter dans une ferme avec des gens du terroir que chez des aristocrates. Bien sûr, c'était un à priori et j'en étais consciente. Mais il me semblait que les gens de la terre s'attardaient moins sur la misère humaine, tandis que l'apparence comptait chez les gens aisés.
Je me rendis donc dans la belle propriété de maître et le majordome m'introduisit dans un petit salon.
Le propriétaire de la villa ressemblait à sa demeure, grand et chaleureux.
Après l'échange de poignées de main, et l'énoncé de ce qui m'amenait chez lui.
Il se permit de me demander ce qu'il m'était arrivé. Il était beaucoup plus simple pour moi de répondre à des questions directes et bien intentionnées, plutôt que d'essayer sans cesse de trouver une échappatoire et faire comme si...
Je donnais quelques explications sommaires et revins sur le sujet de mon enquête. Il s'agissait d'un vol d'œuvres d'art, objets, livres et tableaux authentiques. Il en avait des photographies et je le suivis dans son bureau afin qu'il me les montre. Je lui demandai s'il accepterait que je les lui emprunte.
Il me proposa plutôt, si j’étais d’accord, de prendre un café avec moi, pendant que sa secrétaire se chargerait de les scanner.
C'était la première fois depuis mon accident que je prenais un café avec un inconnu, et boire quelque chose n'était pas toujours chose aisée avec cette bouche de travers.
Je crois qu'il le comprit car, il me demanda si cela ne me gênait pas...
En fait, je ne savais pas si cela me gênait ou non... j'avais acquis une grande dextérité pour le manger et pour le boire... mais chez moi, seule, avec ma mère ou mes rares amis.
C'était de nouveau un challenge, un de ceux qui allaient faire partie de mon quotidien, j’acceptai son café.
En fait, nous discutâmes d'art et le temps passa sans que je m'en rende compte. Depuis longtemps, ma tasse était vide, et les photos scannées étaient posées sur un coin de la table, quand je pris congé de Monsieur De Balloit.
Je m'étais aperçue que je pouvais oublier mon handicap, c'était une vraie revanche sur le destin.
Je revins au bureau le cœur content. Mes collègues n'avaient pas l'attitude de l'aristo qui venait de me recevoir. Ils n'osaient croiser mon regard, de peur sans doute, de descendre leurs yeux sur cette bouche difforme et se trouver mal à l'aise.
Je ne leur en voulais pas, j'espérais juste que le temps permettrait qu'ils oublient mon côté gauche.
Je commençai par chercher qui pouvait bien s'intéresser à ces bibelots, tableaux et livres d'un autre âge. Le commun des mortels n'aurait pas volé ce butin. Seul un connaisseur avait conscience de la valeur de ces objets.
Je me demandai s'il y avait eu ailleurs, des vols similaires.
Pendant quelques jours, je me perdis dans les différents articles de journaux des régions environnantes et pus constater que régulièrement des maison de maîtres étaient cambriolées, et tous les larcins se composaient d'objets choisis par un voleur connaisseur d'art.
Je recoupai tous les articles pour déterminer la géographie de tous ces vols et pris contact avec les différentes polices ayant constaté les délits.
Forte de tout ce que j'avais réuni comme indices, je décidais d'aller voir M. De Balloit, car j'étais convaincue qu'il connaissait le voleur.
Ami, marchand d'art ou les deux, ce malfrat dépouillait les gens qu'il côtoyait, il s'attaquait à un butin dont il connaissait la valeur.
Il œuvrait soigneusement, dans des demeures luxueuses choisies, son mode opératoire semblait quasi toujours le même. Il neutralisait les alarmes, vidait les maisons de ses victimes quand elles étaient absentes. Il semblait bien connaitre leurs faits et gestes.
Quand je passais le portail, quelle ne fut pas ma surprise de voir tout un peloton de gendarmes. Mort, M. De Balloit gisait dans une marre de sang.(...)
Donnez moi votre avis sur ce début de livre... merci beaucoup